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quiétudes, les angoisses, les plaintes mêlées de gémissements ; et des sanglots redoublés nuit et jour, (6, 1160) obligeant les nerfs et les membres à se tordre sans cesse, brisaient enfin par de nouvelles fatigues leurs ressorts déjà fatigués.

Cependant tu n’aurais vu, à fleur de corps, aucune extrémité trop brûlante ; la main y rencontrait plutôt une impression de tiédeur, quoiqu’en même temps le corps entier fût rougi et marqué du feu des ulcères, pareil au feu sacré qui se répand sur nos membres. Mais la partie intérieure de l’homme s’embrasait jusqu’à la moelle des os ; et la flamme bouillonnait dans l’estomac, comme dans une fournaise. (6, 1170) Pas un des malades n’eût enduré l’usage de la plus mince, de la plus légère étoffe : tous abandonnaient leurs membres, brûlés par la fièvre du mal, au vent, au froid ; une partie même à l’onde glacée des fleuves, où ils précipitaient leurs corps nus. Beaucoup s’élancèrent jusqu’au fond des puits, et y vinrent tomber la bouche béante. Une soif dévorante, insatiable, les y plongeait ; et pour elle les torrents étaient comme des gouttes d’eau.

Le mal n’avait point de relâche : les corps gisaient épuisés de fatigue ; la médecine bégayait à peine dans une muette épouvante, tant elle voyait de malades (6, 1180) rouler un œil ardent, au sein de longues et pénibles insomnies ! Bien d’autres signes annonçaient la mort : l’âme bouleversée par la tristesse et l’effroi ; le sourcil dur et froncé ; l’air hagard et farouche ; les oreilles inquiètes et toujours pleines d’un sinistre tintement ; l’haleine tantôt précipitée, tantôt lente et forte ; une sueur qui ruisselait à flots brillants du cou ; une salive claire, appauvrie, teinte d’une couleur de safran, chargée de sel, et qu’une toux rauque chassait avec peine de la gorge. Les nerfs se contractaient aux mains, les membres tressaillaient ; (6, 1190) du bout des pieds, enfin, le froid étendait à pas lents et sûrs ses envahissements. À l’approche du moment suprême, ils avaient encore les narines serrées, la pointe du nez aiguë et mince, les yeux caves, les tempes creuses, la peau froide et rude, la bouche convulsivement ouverte, le front tendu et saillant. Bientôt après, la mort roidissait leurs membres immobiles ; et quand le soleil avait huit fois blanchi les cieux de sa lumière, ou neuf fois allumé son flambeau, ils rendaient l’âme.

Si quelques-uns, comme le fait arriva, échappaient à cette mort, parce que les plaies hideuses de leurs entrailles vomissaient un torrent de matières noires, (6, 1200) cependant le poison et le trépas les attendaient encore. Que de fois, au milieu de vives douleurs à la tête, un sang corrompu remplissant les narines jaillissait à grands flots ! et par cette voie s’écoulait toute la vigueur, toute la substance des hommes.

Évitaient-ils ce flux impétueux de sang empoisonné, la maladie se jetait alors sur les nerfs, les articulations, et jusque sur les organes générateurs du corps. Aussi les uns, craignant le terrible seuil de la mort, vivaient-ils en abandonnant au fer la dépouille de leur virilité. D’autres, sans pieds ni mains, tenaient encore (6, 1210) à la vie ; une foule