Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par des lois équitables, dégoûtèrent les hommes des mœurs violentes. (5, 1150) Aussitôt la peur des châtiments empoisonne les jouissances de la vie : tout coupable se voit enlacer par ses violences, ses injustices, qui retombent habituellement sur celui dont elles partent. Désormais le repos et le calme ne sont pas faciles à quiconque trouble, par ses attentats, l’accord de la paix universelle. Il a beau tromper l’œil des dieux et des hommes, il ne doit pas compter sur un éternel mystère ; car on dit que souvent des paroles, échappées dans les rêves ou dans la fièvre du mal, ont trahi bien des hommes, et mis en lumière des crimes longtemps cachés.

(5, 1160) Maintenant quelle cause a pu répandre les dieux chez les grandes nations, remplir les villes d’autels, et travailler à l’institution de ces solennités religieuses, qui de nos jours sont en honneur dans les affaires et les circonstances importantes ? D’où naît aujourd’hui encore parmi les hommes ce pieux effroi qui élève sans cesse de nouveaux temples sur toute la face du globe, et qui oblige les peuples d’y courir aux jours de fête ? Il est facile d’en expliquer la cause.

La voici. Déjà les générations humaines, dans les rêves de leur esprit éveillé, (5, 1170) et plus encore dans le sommeil, apercevaient des figures divines, éclatantes de beauté sous un étrange développement de la taille. Ces images, ils leur attribuaient le sentiment, à les voir agiter leurs membres, et jeter de superbes paroles en harmonie avec leur majestueuse beauté et leur vigueur immense. Et ils leur accordaient une vie éternelle, à cause de leur éternelle apparition sous une forme et une grâce inaltérable ; ou simplement parce que ces natures, douées de forces énormes, ne leur semblaient point aisées à vaincre par une force quelconque. Aussi croyait-on leur sort bien plus heureux que le nôtre, puisque la crainte de la mort ne tourmentait aucune d’elles : (5, 1180) et aussi parce que, dans le sommeil, on leur voyait accomplir bien des choses merveilleuses, qui ne leur coûtaient pas la moindre fatigue.

D’ailleurs, un ordre immuable présidait à l’arrangement du ciel et aux révolutions de l’année : témoin du fait, et incapable d’en pénétrer la cause, l’homme n’avait d’autre refuge que de remettre tout aux mains des immortels, et de faire tout plier sous leur empire.

Il leur donna le ciel pour séjour et pour temple, parce que c’est au ciel que nous voyons flotter la nuit et la lune, la lune et le jour, la nuit et ses astres mélancoliques, (5, 1190) ces flambeaux errants, ces flammes volantes, et les nues, le soleil, les pluies, la neige, les vents, la foudre, la grêle, et ces frémissements rapides, et cette grande voix du tonnerre à la menace retentissante.

O misérable race des humains ! quand ils ont imputé aux dieux de telles actions, quand ils leur ont prêté de si âpres colères, quelle source de gémissements ouverte pour eux mêmes ! Que de plaies pour nous, que de larmes pour nos descendants !

La piété ne consiste point à être vue sans cesse tournant un front voilé devant une pierre, à s’approcher de tous les autels, à prosterner son