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qui roulent des hautes montagnes appellent au loin, de leur voix éclatante, les bêtes altérées. Et puis, ils trouvaient dans leurs courses et envahissaient les asiles champêtres des nymphes : là, elles déchaînaient leurs eaux jaillissantes, longs épanchements qui lavaient les rocs, les rocs humides, ruisselants de la mousse verdoyante, (5, 950) ou qui d’un vif et bouillonnant essor allaient gagner la plaine.

Ils ne savaient pas encore dompter les choses avec le feu, ni employer des peaux, et vêtir leur corps de la dépouille des bêtes : ils habitaient les bois, le creux des montagnes, les grandes forêts ; et ils cachaient dans les broussailles leurs membres incultes, obligés de fuir les coups du vent ou la pluie.

Incapables de songer au bien commun, ils ignoraient entre eux l’usage des lois et des mœurs réglées. La proie que le hasard offrait à chacun, chacun s’en emparait, instruit par la Nature à se conserver et à vivre pour lui-même.

(5, 960) Vénus unissait dans les bois les corps des amants ; car toute femme cédait soit à un penchant mutuel, soit au brutal emportement et à la passion furieuse de l’homme, soit à l’appas de ses dons : quelques glands, des arbouses, des poires choisies.

Se fiant à la vigueur extraordinaire de leurs mains et de leurs pieds, ils poursuivaient les animaux féroces des bois ; ils venaient à bout de la plupart, et ne se cachaient que pour en éviter un petit nombre. Pareils aux sangliers couverts de soies, quand la nuit les surprenait, ils étendaient leurs membres tout nus sur la terre, (5, 970) en s’enveloppant de rameaux et de feuilles.

Et ils n’erraient point avec de grandes lamentations dans les campagnes, épouvantés et cherchant le jour et le soleil au milieu des ombres ; mais silencieux, et ensevelis dans le sommeil, ils attendaient que le flambeau de l’aurore vînt dorer le ciel de sa rose lumière. Car, accoutumés dès l’enfance à voir naître alternativement le jour et les ténèbres, ils n’avaient pas lieu de s’étonner qu’ils pussent le faire, ou de craindre qu’une nuit éternelle s’emparât du monde, lui ôtant à jamais la lumière du soleil. (5, 980) Ils étaient bien autrement inquiétés par les bêtes sauvages, qui rendaient souvent le repos fatal à ces tristes humains : chassés de leur demeure, ils se réfugiaient sous un abri de pierre, à l’approche d’un sanglier écumant ou d’un lion fougueux ; et, pleins d’alarmes, au milieu de la nuit, ils cédaient à ces terribles hôtes leur couche de feuillage.

Pourtant, alors, le troupeau des hommes ne quittait guère en plus grand nombre que de nos jours, au milieu des pleurs, la douce lumière de la vie. Sans doute chacun, plus exposé aux surprises des bêtes féroces, leur offrait une vivante pâture, consumé par leur dent, (5, 990) et remplissait les bois, les montagnes, les forêts de lamentations, en voyant ses entrailles ensevelies toutes vives dans une tombe vivante. Sans doute ceux que dérobait la fuite, le corps à demi rongé, et couvrant leurs plaies affreuses de leurs mains tremblantes, appelaient la mort avec des cris épouvantables, et perdaient enfin la vie dans d’horribles convulsions,