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les jouissances communes enveloppent des mêmes nœuds, au prix des mêmes tortures ? Ainsi, dans nos carrefours, les chiens qui aspirent à rompre leur union, (4, 1200) et qui dirigent leur ardent et vigoureux effort en sens contraire, demeurent assujettis par les fortes chaînes de Vénus. Affronteraient-ils ces maux, si un appas connu, une volupté mutuelle ne les attirait au piège qui les tient enlacés ? Je le répète donc, les jouissances se partagent.

Et lorsque Vénus mêle nos semences, que les femmes aspirent et engloutissent vivement le germe des hommes, la ressemblance du fruit avec les mères ou les pères tient à la sève qui domine. Mais les enfants que tu vois unir et fondre sur un même visage les traits de chaque parent, (4, 1210) naissent de leur matière, de leur sang à tous deux : car les deux semences que Vénus aiguillonne jaillissent entre-choquées par de mutuelles ardeurs, qui concourent à rendre leurs batailles égales.

Il peut arriver même que ces enfants ressemblent à un aïeul, ou soient les vives images de leurs premiers ancêtres. Voici pourquoi. La substance des époux recèle sous mille combinaisons mille germes, héritage transmis de pères en pères, et qui vient de la souche. Vénus emploie ces purs atomes à diversifier les figures, (4, 1220) à reproduire les traits et même la voix, la chevelure des familles, essences qui ont une base déterminée tout comme nos visages, nos corps et nos membres. La sève paternelle travaille donc à la race des femmes, et du corps des mères il ne jaillit que des hommes ; car si tout enfantement suppose les deux germes, encore la ressemblance du fruit marque-t-elle le suc qui abonde davantage : ressemblance si éclatante, soit chez les enfants des hommes, soit chez les rejetons des femmes.

Il est faux que la puissance divine, refusant à quelques hommes le germe créateur, (4, 1230) et une douce famille qui les salue du nom de père, condamne leurs tristes jours à une Vénus stérile. La plupart le croient ; et, désespérés, ils inondent les autels de sang, ils y entassent les offrandes, pour que des sucs abondants fécondent les épouses. Mais ils fatiguent en vain les dieux et les oracles ; car la stérilité résulte de leur germe trop épais, ou trop clair et trop fluide. Trop clair, il ne demeure pas attaché aux réservoirs : il fond, recule, se perd, et avorte. (4, 1240) Trop épais, il jaillit à flots compactes, et on ne le darde pas assez loin : il ne peut se glisser au but ; ou même, quand il perce les voies, ce germe se mêle difficilement au germe des femmes. Oui, aux concerts de Vénus, l’harmonie des organisations diffère. Tel homme charge mieux tel sein que les autres, et une femme ne reçoit pas de tous le fardeau qui appesantit ses membres. Beaucoup ont langui paresseuses sous de nombreux hymens, et trouvent ensuite des époux qui les fécondent, qui les enrichissent des joies de la maternité. (4, 1250) Et les hommes chez qui de fécondes épouses demeu-