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comme pour y saisir la trace des bêtes ! Déjà éveillés, ils poursuivent encore mille fantômes de cerfs, ils les voient abandonnés à la fuite ; puis enfin ils reviennent à eux, et secouent ces douces illusions. Les jeunes dogues, race caressante, habituée au logis, (4, 1000) tressaillent, et arrachent vivement leur corps de la terre, comme si des traits, des visages nouveaux inquiétaient leur vue. Plus le germe des images est rude, plus elles doivent irriter le sommeil.

Les oiseaux de mille couleurs partent tout à coup la nuit, et agitent les bois sacrés de leur aile retentissante, lorsque des vautours semblent leur apporter la guerre, les batailles, au sein de leur mol assoupissement, et voler à leur poursuite.

De même nos intelligences, accoutumées à de vastes enfantements, exécutent et soutiennent de grandes choses jusque dans nos rêves. (4, 1010) Les rois emportent des villes, on les prend, ils engagent la mêlée, ils poussent le cri des malheureux égorgés sur place. Mille autres combattent, à qui leurs blessures arrachent des gémissements ; ou, comme si leurs membres palpitaient sous la dent des tigres, des lions cruels, ils remplissent tout de lamentations. Beaucoup révèlent alors de terribles mystères, et dénoncent leurs propres attentats. Beaucoup essuient la mort. Beaucoup croient tomber de hautes montagnes sur la terre : leurs corps frissonnent épouvantés, et au réveil leur âme, frappée de vertige, (4, 1020) se remet à peine des émotions soulevées par ces tempêtes de la chair.

Les hommes altérés se voient au bord de fleuves, de sources ravissantes, que leur gosier absorbe presque tout entières. Que de fois un enfant, enchaîné par le sommeil, a cru lever sa robe devant un réservoir, un bassin ! et le flot impur, jaillissant du corps, souille les étoffes resplendissantes que fournit Babylone.

Puis, quand les vives humeurs de sa jeunesse commencent à bouillonner dans les pores, que la sève croît et mugit avec les ans, mille formes venues de mille corps extérieurs lui offrent, (4, 1030) messagères lascives, de beaux visages, de fraîches couleurs, qui ébranlent et irritent les organes tout gonflés de semence, qui suppléent à mille douces opérations, qui excitent de longs épanchements, et qui ensanglantent la robe des vierges.

Elles vont solliciter le fluide générateur au fond de nos membres, je le répète, sitôt que les années mûrissent les forces ; et, comme les organes divers sont harcelés par divers mobiles, la semence des hommes ne fermente que sous des influences humaines. À peine renvoyée de ses demeures, elle traverse les membres, les articulations, tout le corps enfin, (4, 1040) et se ramasse dans les nerfs qui lui sont affectés. Là, elle frappe les organes mêmes de la génération. Irrités par elle, les organes se gonflent ; ils aspirent à rejeter ce qui provoque leur fatal emportement, et nos âmes tendent vers le corps qui les a blessées d’amour. Oui, elles gagnent habituellement la source même du coup : notre sang inonde les douces ennemies qui nous frappent, et, vaincues dans nos