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Mais, si les tristesses de Lucile étaient d’une qualité rare et si la mélancolie d’une âme dépareillée n’est pas sans beauté, il faut bien le dire, un caractère immodéré comme le sien était fatigant dans l’intimité. Les rares infortunes, quotidiennement étalées, perdent de leur noblesse et se tournent en moues et en querelles. « Ma sœur était déraisonnable, » dit Chateaubriand, et il dit vrai. Impétueuse, fantasque, pleine de contradictions, détachée de tout et s’attachant à des riens, prête à tous les renoncements et multipliant les exigences, sentimentale et défiante, se croyant sans cesse persécutée, elle était parfaitement insociable. Vivant avec ses sœurs et sa belle-sœur, elle les désespérait. Mme de Chateaubriand, qui paraît l’avoir longtemps accueillie et soutenue, se lassa. Lucile, à charge à elle-même et aux autres, errait de gîte en gîte sans trouver d’oreiller où reposer sa belle et malheureuse tête.

Dans l’automne de 1802, elle vit chez Mme de Beaumont un jeune poète revenu d’exil en même