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LE MAL DES ARDENTS

et des arnicas. Un vent terrible grondait perpétuellement dans les tuiles ; et la mer sans marée ne s’arrêtait jamais. Bernard connut là la violence et l’exaltation de la prière : le Père Régard les agenouillait tout à coup sur les rochers devant l’aube ou le crépuscule, les écrasait de la grandeur prodigieuse des cieux et élevait leur âme dans une série d’invocations haletantes et précipitées comme celles qui galvanisent les foules aux processions de Lourdes. Parfois ils entraient tous ensemble dans le flot et passaient en faisant la chaîne au dessus d’une cave dangereuse où deux ou trois perdaient pied : « Dieu vous soutient ! » criait le prêtre ; les adolescents reparaissaient, crachant et s’ébrouant, mais rieurs et sans avoir eu un instant de crainte : ainsi est la vraie foi. Souvent aussi ils chantaient des hymnes composés par le Père à la louange des Saints ; il les réunissait autour de lui après le jeu, sur quelque plage sauvage où le vent faisait flotter leurs vêtements et soulevait leurs cheveux ; ils tiraient leur goûter d’un panier et mangeaient d’un appétit dévorant ; certains s’abstenaient, se mortifiant pour des raisons obscures, des péchés véniels ou des vélléités dont ils redoutaient qu’elles prissent figure ; on ne leur demandait rien. Le Père les regardait et quelquefois souriait en remerciant le Ciel ; ces douze garçons soigneusement triés avaient tous les yeux clairs, nets de cerne, la mine belle, pure et sans tache ; il les savait droits, irréprochables ; leur bonheur faisait le sien. Leur âge s’échelonnait de quatorze à dix-huit ans ; le grand Texin songeait