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LA JEUNESSE DE RABEVEL

for secret les sentiments alors qu’elle ne pénétrait point les idées. La feinte de Bernard lui fut évidente ; il simulait par cette ambassade des sentiments de timidité respectueuse qui devaient flatter Noë ; sa propre perspicacité égaya la jeune femme et sa mission lui parut moins pénible ; même, continuant le cours de ses pensées, elle se demanda si l’adolescent n’avait pas prévu cette réaction seconde et elle en rit encore et aussi d’elle-même, un peu cette fois avec de l’indulgence pour ce petit brigand. Aussi se sentait-elle toute légère quand elle descendit à l’atelier de menuiserie.

Noë procédait au montage d’une porte à double vantail avec deux ouvriers. Elle cria : « Ne vous dérangez pas, ce n’est que moi ! » d’une voix rieuse qui mit le soleil dans l’atelier. Noë lui fit un signe amical : « Rien de cassé ? » demanda-t-il.

— « Du tout, du tout, répondit-elle avec précipitation, finissez votre travail, ne vous occupez pas de moi, j’ai le temps d’attendre, vous savez que je ne m’ennuie pas ici. »

Elle disait vrai, l’atelier de son beau-frère lui paraissait toujours joyeux ; les compagnons, gars bien portants et de belle humeur, chantaient en poussant la varlope ; le sifflement des copeaux accompagnait leur naissance blanche, gracieuse et légère ; elle circulait entre les établis, voulait préparer elle-même la colle de pâte, veiller à l’étuve et Noë l’envoyait chercher par un apprenti, chaque fois qu’il avait achevé le montage d’une belle pièce, pour lui donner