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LA JEUNESSE DE RABEVEL

d’espoir et de crainte où se plongeait l’affection que l’on gardait au petit être, malgré les répugnances que sa conduite avait créées. Enfin la maladie céda. La tendresse d’Eugénie qui avait adouci tant de cauchemars eut sa récompense dans une reconnaissance exaltée et farouche que Bernard témoignait par d’ardents baisers prodigués. Noë se vit également accueilli avec une douceur et une affection qui comblèrent son âme sensible et lui firent oublier les heures pénibles passées à ce chevet. Mais le petit restait muet et rogue devant les autres ; les larmes seules d’Eugénie purent changer son attitude et l’incliner à la douceur. Cependant la première fois que Catherine, pour éprouver son remords, fit allusion à la scène dont le souvenir les hantait tous, il fut tout secoué de tremblements et on crut qu’il allait étouffer. La vieille grand’mère promit à Eugénie qu’elle n’en parlerait plus.

Le petit Blinkine vint voir son ami. On les laissa seuls et ils bavardèrent longuement. Abraham, fils singulier de sa race, était tenté par tout, doué d’une merveilleuse source de curiosités universelles et sans persévérances, d’un cœur exquis et d’un goût irrépressible pour les caprices changeants de l’intelligence.

Il connaissait bien le cœur de Bernard, il sut l’amuser et l’apaiser. Mais il lui apprit que François était parti « pour tout de bon » comme mousse sur le bateau de son père ; sa mère et sa tante s’en étaient allées avec lui ; le père Régis comptait les installer provisoirement à Papeete