Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
LE MAL DES ARDENTS

crocs. Du mufle le chien repoussa sa victime dans la chatière ; on entendit dans la cage de l’escalier le corps tomber sur le béton du rez-de-chaussée avec un bruit mou.

Bernard restait sur place, moite d’horreur, d’émotion, et d’une sorte d’admiration : il eût la sensation d’être affamé, une espèce d’appétit devant ce dogue qui léchait ses babines et baillait avec satisfaction. Un obscur désir lui venait d’être cette brute ; il se rappela tout-à-coup le coup de couteau à l’amoureux de la bonne ; il eût voulu avoir ce sang à portée de la bouche. Une envie, dont il avait honte, de voir encore ce chien massacrer une autre bête innocente traquait son imagination ; il se sentait cloué là. Pourtant il se leva et redescendit à pas de loup. Il rentra dans l’appartement, prétextant un livre oublié. La sueur au front, il alla derrière un placard où reposait la chatte de la maison qui avait mis bas un mois avant. Il prit l’un des chatons sans que la mère ronronnante s’y opposât et, sur la pointe des pieds, il s’esquiva.

Quand il aperçut de nouveau le chien, son cœur cessa de battre. Le monstre couché le regardait d’un œil à peine ouvert. Il posa le chaton et attendit ; mais Tom simulait l’innocence et le sommeil ; la petite bête enhardie venue contre sa gueule le flattait du poil et de la queue ; il se laissait faire d’un air bonasse. Bernard lui dit à mi-voix : « Tu es malin. Pas tant que moi, tu vas voir ». Toute pitié avait disparu de lui. Il saisit le chaton, le balança sous le nez du chien et tout-à-coup le lui lança ; d’instinct, Tom