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LA JEUNESSE DE RABEVEL

bientôt, réorganisée sur de nouvelles bases, munie d’hommes choisis et durement surveillés par Bernard, l’exploitation des asphaltières fut générale et s’annonça rémunératrice. Installé à Clermont d’où il rayonnait dans toutes les directions avec une des premières automobiles qui eussent paru sur le marché, Rabevel ne passait point de journée sans se rendre à la villa Galanda. Il ne se déclarait point, liant silencieusement la jeune fille de mille réseaux chaque jour plus resserrés ; elle ne lui inspirait pas la grande passion grondante qu’Angèle avait déchaînée en lui mais une affection simple et reposante ; et, vraiment, il la désirait pour femme. Mais qu’était-il ? Le fils d’une catin ; et il n’osait trop s’aventurer encore de peur de rendre inéluctable l’explication qu’il prévoyait. De leur côté, les Orsat retardaient leur retour à Paris : ils pressentaient une sorte de mystère mais n’osaient en réclamer la clé, tous trois timides et éblouis.

Pourtant, malgré ses méditations, nulle idée victorieuse ne venait à Bernard. Parfois, désespéré, il se demandait s’il ne vaudrait pas mieux abandonner définitivement Reine Orsat et aller faire amende honorable auprès de la passionnée Angèle. Ces hésitations lui étaient douloureuses.

— Quoi ! songeait-il avec colère. De l’amour ? de l’amour ? J’en suis là, à me tourmenter comme « un enfant du siècle ». Qu’est-ce que j’ai donc ?

Mais sa lucidité ne souffrait en rien de la crise sentimentale ; dès qu’il entrait dans son bureau tout était oublié.