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LA JEUNESSE DE RABEVEL

L’oncle et le neveu se regardaient aussi interdits l’un que l’autre. Le maître d’école les aborda :

— Que viens-tu de faire, Noë ? dit-il d’un ton de reproche.

Mais l’enfant, les yeux humides, le prévint :

— Il m’a battu parce que je ne vous trouve pas reluisant.

Le père Lazare hocha la tête.

— Il est pourtant vrai, dit-il, que je ne me soigne guère. L’observation de cet enfant m’est une leçon, Noë, et elle me profitera plus que ne t’ont profité celles que je t’ai données. Où irons-nous, mon pauvre ami, si tu ne sais pas respecter le citoyen qui dort dans cette petite âme d’enfant ? Que nous donneront les institutions dont nous rêvons et qu’ont préparées les barricades et la défaite des tyrans, si nous ne conservons intacte la bonté naturelle, si nous ne l’éduquons, si nous ne révérons la raison dans cette source si pure où elle nous apparaît à l’état naissant ?

Il s’exprimait à voix presque basse, si bien que nul ne les avait remarqués. Il les avait conduits en parlant dans un coin obscur de l’école où les enfants déjà prenaient leur place au milieu d’un murmure joyeux tandis que les parents se rassemblaient au fond de la salle pour échanger des nouvelles ou des témoignages d’amitié.

— Je vous jure, dit Noë tout rouge, je vous jure…

— Eh ! sur quoi veux-tu jurer, mon ami ? L’Être suprême est bien loin et nul ne sait ce qu’est devenu Jésus, le plus grand des hommes. Les formes de la superstition demeurent-elles à ce point vivantes dans les cœurs de vingt ans ?