par le Bernard refoulé qui veillait en silence sous les menaces du Bernard mystique. Ce Bernard s’était fait une retraite prévilégiée, un sanctuaire favorable de la nature d’Angèle ; il y vivait heureux et flatté, tout en elle faisait sa dilection ; la fourmilière invincible des minutes construisait depuis des années, dans les ténèbres intérieures, cet idéal passionné ; les outils du Temps ne prévaudraient pas contre celui qu’eux-mêmes avaient si patiemment édifié.
Il hocha la tête, plein pour lui-même d’une dérision amère : il avait cru au coup de foudre ? nul travail de plus longue baleine que cet amour. Il avait cru pouvoir s’offrir à Angèle ouvert et démantelé ? elle l’occupait en réalité depuis des années. Ce fut à ce moment qu’il ressentit les aiguilles lancinantes du chagrin.
Car il prenait enfin et à la fois conscience du temps perdu, du bonheur manqué, des erreurs du passé et de l’étrangeté apparente de son attitude présente ; il voulut rompre les chaînes du silence, il le fit avec son sûr instinct de domination :
— Que cette nouvelle est imprévue ! dit-il. Qui m’eût dit que vous épouseriez François quand nous devisions ensemble aux vacances dernières ?
Elle fut tout de suite en garde :
— Que voulez-vous dire ?
— Oh ! mon Dieu, rien. Mais figurez-vous qu’il m’avait semblé que vous m’aviez marqué une préférence.