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LA JEUNESSE DE RABEVEL

il ne pouvait pas lui déplaire tout de même ; d’ailleurs il se rappelait bien qu’elle ne le détestait pas… mais sa tante insistait :

— C’est vrai que tu n’as pas bonne mine, mon pauvre grand !

Il eut un regard interrogateur, tant le contraire était pour lui l’évidence, puis, presque fébrilement, s’approcha de la glace. Il considéra un instant la chevelure terne, la bouche amère, le cerne immense et bistre où s’éteignaient les yeux, le poil rogneux de la petite moustache ; l’éreintement, l’épuisement sexuel se lisaient sur cette triste image. De nouveau il sentit l’amertume de la vie ; il dit d’un ton touchant à Eugénie :

— Crois-tu que je puisse jamais être aimé ?

Elle se mit à rire tant la question et le ton lui parurent surprenants :

— Oui, répondit-elle ; aux lumières tu n’es pas trop affreux.

Et aussitôt, sa bonne nature regretta la plaisanterie. Elle cajola son neveu, l’embrassa, le consola tendrement. Tandis qu’elle lui disait de gentilles choses banales, son esprit travaillait ; et à un moment donné, elle lui prit le visage dans ses mains, l’examina un instant, hocha la tête ; sans affectation, elle découvrit entièrement le lit, se rendit compte que les draps étaient lisses et froids ; elle revit l’attitude exacte de Bernard au moment où il rentrait dans la chambre et y surprit la pointe d’embarras qui lui avait