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LA JEUNESSE DE RABEVEL

sommeil, la savane, les immensités précieuses des firmaments où nagent des astres. Il pensa à François et de suite à Angèle. Alors vraiment un choc nouveau l’éprouva et il comprit que la seule chose tout à fait importante de sa vie jusqu’à ce jour venait d’entrer dans la chambre. Dans sa tête tournoyante le passé et le présent prirent subitement un sens. Il rêva que le corps allongé contre le sien était ce corps mince et long d’Angèle, cette forme solide et flexible qui épousait la haute mer d’une coupe sûre tandis qu’il rôdait autour du lazaret, possédé de Dieu. Si cette tête se relevant lui montrait soudain le beau visage ? Oui, il l’aimait, il l’avait toujours aimée. Il se rappelait leurs disputes et qu’elle le préférait à tous et qu’il en avait toujours éprouvé une gêne, l’ennui qu’ont les garçons d’être préférés des filles sous l’œil moqueur de leurs camarades. La pétulance de la vierge brune lui devenait tout à coup si chère, il comprenait si bien le regard perdu de rêve qu’elle avait parfois et dont toujours il s’était moqué ; des ondes voyageuses lui apportaient avec lenteur, l’une après l’autre, une infinité de souvenirs qu’il jugeait à jamais perdus ; il revivait avec une acuité totale toute leur vie commune. Tel jour elle était vêtue d’une robe blanche et d’une vareuse blanche aussi avec un col bordé de bleu ; tel autre, elle portait une robe rose ; ces couleurs prenaient une valeur spéciale, unique, elles n’étaient plus un numéro de série mais appartenaient en propre à la personne exquise dont Bernard revivait les aventures avec volupté : les objets les