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LE MAL DES ARDENTS

Il en resta étourdi. Jamais il n’avait songé à l’amour. Ce mot, ni l’idée ne l’avaient encore visité depuis qu’il avait connu cette femme. Ainsi donc c’était cela qu’on pouvait appeler l’amour, cela que célébraient les poètes, toutes les faiblesses assez veules avant ou après le lit, toutes les abdications de l’esprit, les baisers insalubres, le sale contact de la chair (agréable, se disait-il, mais enfin répugnant, animal) cela, l’amour ? Il imagina tout à coup sa tante Eugénie dans la posture abandonnée de Flavie et il connut une sorte de honte. Cela, l’amour ? De beaux mots étaient donc forgés par les hommes et ne correspondaient exactement qu’à de pauvres choses ; la bête verticale ne songerait jamais qu’à s’abuser ? Mais non ; la vie était ce qu’elle était : une suite d’actes simples, tous susceptibles d’être définis rigoureusement et relevant d’une science ; la vie c’était la pratique de la vie ; le lyrisme : bavardage ; l’amour : un mot, un euphémisme. Sans doute de même l’amitié, l’honneur… Son esprit vagabondait sur des routes aisées qui sonnaient dur au talon et le renvoyaient élastique et léger ; routes complaisantes, familières à son rêve si exactement matérialiste. La fille dormait sur son épaule mais il n’y pensait pas plus qu’à une étrangère. Seules l’intéressaient les images d’un bonheur qu’il imaginait avec délice et qui ne le laissait pas s’endormir.

La lune monta dans la lucarne ; elle versa dans la chambre une vague laiteuse si matérielle, si liquide que Bernard crut y boire à longs traits. La mer le visita dans son demi-