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LA JEUNESSE DE RABEVEL

— Je les connais, dit l’enfant. C’est Monsieur Bansperger, tu sais, le fils du rabbin ? Il est avec une dame. Il va voir son père sans doute.

— Oui, il a eu vite fait fortune celui-là avec les fournitures de la guerre, grommela Noë.

Un camarade d’école, de quelques années à peine plus âgé que lui ; oui, il devait être de 1844, ce qui représentait une différence de cinq ans ; il s’était enrichi tandis que d’autres, dont lui-même, faisaient le coup de feu dans la mobile et allaient pourrir dans les casemates glacées de la Prusse.

— Pourquoi tu n’es pas riche comme ce Bansperger ? demanda l’enfant comme si les pensées de son oncle ne lui avaient pas échappé.

— Parce que, mon petit, il faisait du commerce tandis que je me battais.

— Et l’oncle Rodolphe se battait aussi ?

— Oui, mon frère se battait aussi.

— Mais pourquoi Bansperger ne se battait-il pas ?

— Bansperger était Polonais, mon petit Bernard.

— Alors, pour devenir riche, il valait mieux être Polonais ?

— Oui, pendant la guerre. Mais à présent cela n’a plus d’importance…

— Alors je pourrai rester Français ? demanda l’enfant.

Noë eût un serrement de cœur qu’il reconnut bien. Souvent les réflexions de son neveu le transperçaient.