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LE MAL DES ARDENTS

douloureuses qu’il goûtait pleinement. Il se découvrait une duplicité profonde, insoupçonnable ; à chacune des traverses où s’engageait sa pensée il reconnaissait deux figures opposées propices à la jouissance et au remords ; le goût du supplice achevait le plaisir sensuel ; il en désirait la pointe aigüe ; et, tout à ses anticipations, gardant la vue claire, il prévoyait déjà qu’un jour viendrait où il n’aurait plus la foi et rejetterait l’épice qu’elle apportait aux plaisirs qu’elle défend. Il sentait comme ces horribles penchants lui étaient intimes et naturels ; il revécut cette journée, si innocente en apparence, de la veille et comprit ce qu’elle enfermait de réflexion, d’astuce, de calcul inexprimés s’achevant par la réalisation d’un désir irrésistible : désir venu de si loin ! désir conclu avec sa mémoire par le rappel subit de la scène à laquelle il avait pris part neuf ans auparavant avec le jeune amant de sa voisine d’alors. Le Diable serait rudement plus fort que Dieu s’ils existaient l’un et l’autre, se dit-il, avec, à ce reniement, un remords qui le remplissait d’aise et le crucifiait. Car, enfin, quelle extraordinaire astuce, quelle manière souterraine de conduire les hommes ? et jusqu’à cette apparence de figure naturelle donnée à l’instinct criminel, jusqu’à ce plaisir découvert au vice ! Il se rappelait toute sa nuit, ses maladresses, ses hésitations, sa méfiance, les trésors d’orgueil et de précaution dépensés à dissimuler son inexpérience : et comment il avait montré le même amour-propre en cachant cette nuit sa virginité qu’en se fâchant la veille de cette appellation