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LE MAL DES ARDENTS

Il retrouvait l’impression d’une promenade capricieuse sur un clavier où chaque touche faisait bondir sous les sens, l’image, le son, le parfum appelés ; l’essai se poursuivait sans surprise, avec une sorte d’aise ; progressant, il suscitait simultanément plusieurs évocations distinctes dans son champ ; puis, allant plus loin encore, il se jouait à leur laisser la liberté, n’usant que d’un contrôle sélectif en quelque sorte neutre et les laissant effectuer d’elles-mêmes leurs appels, s’enchaîner, se lier, proliférer, construire les systèmes les plus féconds ou les plus saugrenus. Il oubliait la vie concrète. Il ne regardait plus la femme déjà à moitié vêtue. Il ne s’aperçut même pas de son départ ; couché sur le dos, les mains sous la nuque, les yeux au plafond il suivait les fantômes de sa fantaisie ; et, plus il se sentait pressé par la grondante voix de la conscience qui le réclamait à son tribunal, plus il devait s’ingénier à reformer les rondes craintives que dissipait cette voix. À la fin cependant, l’écran intérieur ne parut plus animé de ces fantômes ; les formes pâlirent, les derniers essais ne donnaient que de molles pensées sans consistance qui n’étaient même plus des ombres transparentes : la toile se montra crue sous la lumière et tout d’un coup s’enroula. Comme après le déchirement de la nue qui révélera le visage du Fils de l’Homme, il se trouva brusquement mis en face de son péché et de sa colère.

Car il ressentait surtout une grande colère contre lui-même, il ne concevait point qu’il ne pût demeurer libre