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LA JEUNESSE DE RABEVEL

bien le connaître, sans même que son intention en fût bien déterminée ni consciente, par une habitude normale de son esprit que les circonstances appliquaient à cet objet. À mesure pourtant que ce besoin de se remplir la vue et la mémoire du spectacle nouveau s’apaisait peu à peu, il semblait que dans le champ de son démon intérieur une sorte de palissade très haute qui l’empêchât de voir autre chose qu’elle même, s’abaissât peu à peu, lui livrant son horizon de piété coutumière à chaque instant agrandi. Il s’attardait à considérer les détails de la palissade par peur de se trouver enfin devant cet horizon dont il n’attendait rien de bon ; il percevait déjà les premiers mouvements de sa conscience, les remords naissants que traîne le péché mortel ; il en redoutait le malaise commençant et essayait de se fuir lui-même ; il se donnait les mille prétextes dont se veut contenter une conscience alarmée avant de se résigner à plonger au plus profond des ténèbres où elle craint des chocs redoutables ; même il se déclarait à lui-même si fatigué qu’il pressentait irréalisable le moindre effort d’analyse et de méditation spirituelles. Pour échapper à cette conscience, pour s’en distraire, pour anesthésier son âme, il excitait son intelligence à se poursuivre elle-même, à se chercher un dérivatif dans les mille jeux du réveil intérieur. Son esprit agile tendait tous les arcs, entre les êtres les plus distants de son troupeau de moi vivants, il palpait les moins sensibles qui réagissaient aussitôt sous ses antennes brusques et venaient s’inscrire instantanément.