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LE MAL DES ARDENTS

plus piétiner tout contre lui se retourna et, distinguant sous le capuchon le petit visage rougi, s’arrêta en souriant :

— Je cours donc si vite, petit Bernard ? lui dit-il.

— Oh ! oui, oncle Noë, répondit l’enfant avec assurance. Mais je te ferai trotter moi aussi quand je serai plus grand que toi.

— Eh ! qui te dit que tu deviendras plus grand que moi, moucheron ?

— Je le sais bien, moi.

Noë Rabevel regarda son neveu. L’enfant assez grand pour ses dix ans semblait robuste. Ses cheveux bouclés qu’il portait longs adoucissaient un peu une mine têtue et sournoise qui gâtait l’intelligence des yeux vifs. L’homme poussa un soupir et marmonna quelques mots. Mais l’enfant tendit l’oreille et l’observait de côté d’un regard fixe qu’il surprit et qui lui pesa. Il sentit après un peu de réflexion son étonnement et sa gêne.

— Damné gosse, se dit-il, qui ne sera pas commode.

Il avait ralenti l’allure et ils firent encore quelques pas en silence. Noë poursuivait le cours de ses réflexions.

— Bon Dieu, oui, songeait-il, qu’il grandisse et tant mieux s’il est capable de faire autre chose qu’un menuisier ou un tailleur. On en sera enfin débarrassé.

Une calèche lancée au grand trot de ses deux chevaux les dépassa et projeta sur sa cotte de velours une flaque de boue luisante.

— Les cochons ! fit-il.