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LE MAL DES ARDENTS

comme un petit garçon, lui mit la main sur les yeux par gaminerie : il appuya sa tête au creux de la poitrine et il sentait le cœur battre et les seins tièdes contre ses oreilles glacées. Dix heures ! il ne pouvait se résoudre à sortir. Eugénie alluma enfin les bougies, et lui souhaita le bonsoir. « Ta chambre est prête » lui dit-elle. Il monta. Devant la glace il se peigna soigneusement : « Je prendrai l’omnibus à l’Hôtel de Ville, se disait-il, je serai chez le curé de la Madeleine à la demie, ce sera assez tôt, je sais que le Père ne s’en va jamais avant onze heures quand il dîne là ». Il lustra ses bottines d’un coup de chiffon, prit le bougeoir et se disposa à sortir de la chambre. Comme il mettait la main sur le bouton de la porte, il crut entendre un soupir ; il s’arrêta ; le bruit se répéta, venant de la chambre voisine : il comprit aussitôt et il lui sembla en même temps qu’il refusait de s’examiner, de soumettre ses actes prochains à sa conscience ; il repoussait toute réflexion définie, devenait un automate volontairement abandonné à l’instinct. Il quitta son chapeau, ses chaussures, se dévêtit, passa sa chemise de nuit et son caleçon, mit ses pieds dans des savates ; puis, résolument, il cogna à la cloison : « Avez-vous fini ? » cria-t-il. Un colloque de voix confuses lui répondit. Puis une voix d’homme insultante : « Ta gueule eh ! curé ! » Il eut un sourire de triomphe, sortit, essaya de pousser la porte voisine sous laquelle filtrait un rais de lumière. La porte résista ; il força lentement, irrésistiblement, arqué de tous ses muscles : le verrou léger céda enfin.