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LE MAL DES ARDENTS

— Justement ! Eh bien ! figurez-vous qu’en arrivant avant hier à Paris je revois mon Angèle Mauléon chez sa tante, mais combien transformée ! Est-elle belle ? Dites-moi si ce visage n’appelle pas le baiser ? Avec cela, douce, tendre, vraiment charmante ; son père va venir ; mon père le verra ; quand ils repartiront pour le Rouergue je serai fixé. Si tout marche vous serez de noce à mon retour, c’est à dire dans trois ans.

— Voilà de longues fiançailles, dit Bernard.

— N’est-ce pas, l’abbé ? » répondit François en gouaillant. Il se tut aussitôt devant l’expression du visage blessé. Mais Abraham :

— Si tu avais la vocation, tu prendrais une autre mine, mon vieux, quand on te donnerait un titre dont tu devrais sentir la grandeur.

Le jeune Rabevel fit une mène désolée. Il sentait bien la justesse de telles observations mais il lui semblait que bien des éléments de jugement échappaient à Blinkine et il ne pouvait vraiment tout dire, tout expliquer, tout exposer : un tel faisceau de choses, de réflexions, d’actes, de projets composaient le bloc de sa vie intérieure. Tout cela vraiment n’était pas si simple : il en avait de bonnes, cet Abraham. Croyait-il que la vocation fût chose si facile, si nette, qu’il ne fallût pas chercher en gémissant ; et même que les desseins de Dieu ne fissent pas leur part aux tentations ? Il eut un élan de piété : les voies de Dieu sont impénétrables, qui sait si ce déjeuner, ce spectacle soudain