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LE MAL DES ARDENTS

donne des armes, mais je ne vais pas sur sa route. Il cultive l’étude des hommes pour elle-même ; moi je la pratique pour m’en servir ; il étudie à fond les combinaisons de la finance et du commerce pour leur beauté propre ; moi je ne m’intéresse à elles que pour en user. S’il parle d’un produit A, mes mains palpent du coton, soupèsent des grains. S’il fait intervenir une valeur X, je vois le chèque, les vignettes de la Banque de France, et, derrière tout cela, je ne sais quoi de somptueux mais de concret : un hôtel, un monsieur en pelisse qui me ressemble, une voiture de maître avec des cuistres reluisants… Tu comprends, pour le moment je me confesse à toi ; il n’y a pas péché à avoir de l’ambition si elle est saine et propre ; et je crois que c’est mon cas. D’autre part, je suis bien attiré par cette quiétude de la chapelle, l’ardeur des prières, les voluptés souveraines des sacrements. Mais l’un et l’autre sont-ils possibles ! Me voilà hésitant devant l’existence que je ne connais pas.

Blinkine l’avait écouté avec attention.

— Il ne s’agit pas de tout cela pour le moment, répondit-il. J’ai plus que toi, je le vois, l’esprit spéculatif pur et même métaphysique. Or il s’agit de vocation. Je me suis interrogé moi-même à un moment de ma vie là dessus : le rabbin me pressait beaucoup. Et note que, chez nous, la contention de la chair n’existe pas, les rabbins sont mariés. Oui, je sais, je sais, ou plutôt je devine ce que tu vas dire ; mais, Bernard, pour pur que tu sois en cet instant, rien ne te