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LE MAL DES ARDENTS

Les cinq années qu’il dut passer encore au Collège ne lui furent pas lourdes. Cette exaltation spirituelle le soulevait, ses succès, son goût du travail lui rendaient tout facile : jamais la durée ne lui parut plus suave ; jamais il ne devait être plus heureux. Il suivait le cours de commerce et de finance que les Frères avaient inauguré depuis 1858 et qui était fort réputé dans le monde des affaires auquel il fournissait des employés fidèles, actifs et capables. Il était dirigé par le Frère Maninc, petit homme trapu et rose, toujours souriant, aux yeux pétillants d’astuce. Il ne se contentait pas d’apprendre à ses élèves la comptabilité, le droit usuel, le régime des transports et des marchandises ; mais il les mettait en garde contre les roueries des escrocs et de la finance interlope ; il leur montrait la loi, la commentait, en expliquait les lacunes et, sur des exemples célèbres, tenant en mains la Gazette des Tribunaux, leur faisait voir comment à chaque instant, par des merveilles d’ingéniosité, l’aventurier tourne les prescriptions du Code. Il décrivait la lutte passionnante de la jurisprudence pratique avec l’escroc ; les textes additionnés aux textes, les dispositions accumulées, toutes les espèces multiples enchevêtrées, les contradictions inévitables entre les Cours, l’hésitation de la conscience humaine devant le fait dont on ne sait à quel moment il devient frauduleux. Parfois il s’exclamait gaiement contre les « chats fourrés » : ils ne connaissaient pas leur métier, telle Cour paraissait réclamer un texte pour une espèce particulière : les nigauds ! mais il existait