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LE MAL DES ARDENTS

tude par de tendres paroles au jeune monstre à qui elle devait la mort et la vie ; affaibli et languissant, il l’écoutait vaguement dans le nirvanâ où s’assoupissaient ses désirs.

Il eût voulu que cette vie végétative durât des années tant il lui semblait bon d’exister et de ne plus calculer. À peine s’il observait l’attitude bizarre d’Abraham, qui, au chevet d’Angèle, se faisait avidement instruire de la religion catholique. Il le vit un jour porteur d’un catéchisme tout neuf et comme il l’interrogeait en riant : « Je prépare, lui répondit-il, un travail sur la psychologie des religions comparées ». — « Eh bien ! répondit Bernard, va donc trouver le Père Régard de ma part, il te renseignera. » Toutefois, il remarquait une certaine gêne à peine sensible mais déjà bien réelle dans l’attitude d’Angèle. Ces conversations sur la religion ne valaient rien à leur amour. L’angoisse morale, l’obsession du péché, les fantômes théologiques qui rôdent autour de la faute et en tirent vengeance faisaient leur œuvre dans l’âme de la jeune femme. « Rien n’est plus contagieux que ça, se disait Bernard ; ça va me reprendre aussi. Alors, adieu le bonheur, l’amour et la tranquillité. » Il déclara très sérieusement à Abraham qu’il lui interdisait formellement d’aborder de nouveau de tels sujets et le jeune juif se le tint pour dit.

Or, à quelques jours de là (on était alors à la fin du mois de Février de cette année 1887) le comptable qui tous les jours portait du bureau le courrier de Bernard et