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LE FINANCIER RABEVEL

avec une piété tendre et passionnée la bouche pâle qui répondit par une plainte.

À l’aurore, le médecin venu de nouveau, examina longuement la souffrante ; il restait inquiet ; il ne sut pas cacher son anxiété ; le doux visage d’Angèle l’émouvait et il ne put s’empêcher de tourner vers Bernard un œil apitoyé qui craignait le pire ; il sortit en parlant à mi-voix avec la veuve. Le jeune homme qui avait senti planer sur lui avec le regard du docteur Porge la menace de l’irréparable sentit du même coup les obscures puissances religieuses refouler en lui tout ce qui n’était pas pur ; il se jeta à genoux, la tête dans les couvertures, les mains jointes et crispées, et d’une voix brisée se mit à prier. Madame Boynet rentrée silencieusement percevait ses sanglots et ses supplications à la bonté divine ; cet amour de deux beaux jeunes gens, cette piété jaillie en fontaine la remuèrent ; elle remercia Dieu d’avoir fait d’elle son instrument pour aider dans la peine deux créatures dignes de lui. Avec l’infatigable ardeur de certaines vieilles gens, repoussant l’aide de la servante et de Bernard lorsque cette aide ne lui était pas indispensable, elle continua de se dévouer au chevet de la malade. Monsieur Porge revenu à midi n’avait encore osé se prononcer ; le lit renfermait un animal sans parole ni pensée qui poussait parfois un vague gémissement et dont tout ce qui distingue la créature humaine semblait appartenir déjà au monde des ombres. Vers la fin de l’après-midi cependant, au contraire de ce qu’on attendait, la tempéra-