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LE MAL DES ARDENTS

Il sentit dans ce ton bourru une sorte de familiarité sympathique ; on le plaignait, on était sur le chemin de la confiance. Mais il ne s’attarda pas à cette pensée, l’inquiétude l’agitait. Il s’assit du côté du lit où la veuve ne se tenait pas et, prenant la main d’Angèle, contempla le beau visage inerte de sa maîtresse ensevelie dans une prostration profonde et déjà comme aux portes du tombeau. Il cachait mal son effroi ; il voulut parler ; mais madame Boynet mit le doigt sur ses lèvres. Tous deux veillèrent toute la nuit qu’ils passèrent en allées et venues silencieuses à la lueur des bougies ; il fallait poser des ventouses, donner des potions à intervalles réguliers, changer de linge le pauvre corps couvert de sueur. Bernard entretenait un grand feu de bois dur dans la cheminée ; les bûches d’orme et de garric éclataient sous la chaleur, dardaient de leur cœur des jets fusants de flammes bleues toutes ronflantes, pétillaient d’étincelles. À un moment, et comme justement tous deux étaient en train de changer une fois de plus le linge de la malade, la bougie mal mouchée s’éteignit ; la pièce ne fut plus éclairée que par la lueur du foyer. Un instant la clarté ondula, fit bouger les ombres sur le corps nu d’Angèle. Le mouvement de la masse des ténèbres chassées autour de ce corps par le glissant reflet des flammes exalta deux tendres rocs de chair laiteuse, le ventre étroit et lisse, les deux hautes, longues et fines cuisses d’une déesse de la Renaissance. Madame Boynet ne put s’empêcher de dire : « Qu’elle est belle ! » et Bernard de baiser