Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
LE FINANCIER RABEVEL

avec cet air particulièrement stupide qu’ont les hommes dans les événements domestiques où ils se sentent impuissants, répétait :

— Mais que peut-elle avoir, que peut-elle avoir ?

— Eh ! Monsieur, fit son hôtesse, elle a dû prendre un grand froid, j’en ai peur.

Angèle relevait de l’oreiller sa tête décolorée ; elle dit à voix basse, horriblement gênée :

— J’ai mal au cœur, Bernard.

La vieille dame avait l’ouïe fine, elle s’écria :

— Et moi qui n’avais pas compris ! » et elle se mit à rire d’un bon rire qui révélait une âme fraîche, une conscience paisible, un caractère sans méchanceté et qui rassura Bernard sans qu’il sût encore pourquoi.

— Quels enfants ! reprit Madame Boynet. Vous ne vous doutez donc pas que cette petite jeune femme est enceinte ?

Angèle, le sang vermeil revenu d’un flot à ses joues regarda craintivement Bernard. Lui, demeurait stupide. Elle le prit par le cou, lui dit à l’oreille : « Un enfant, mon amour, je vais avoir un enfant de toi ! quel bonheur ! » Puis elle retomba en faiblesse ; mais tandis que la veuve s’empressait, Bernard entendait battre ses tempes ; un orgueil violent l’exaltait et un sentiment attendri, attentif, penché sur l’éclosion de quelque chose de neuf ; confusément il sentait qu’il avait, dans toute sa rudesse, une oasis fraîche et que sa paternité serait le bonheur et le tourment, la grande affaire de son existence. Angèle se tordait à