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LE MAL DES ARDENTS

tes dents canines. Ne me dévore point, lionceau, tu sais bien que je suis tienne.

Puis elle bavardait tandis qu’il l’écoutait avec ravissement.

— Je suis sûre que tu n’as jamais vu tes yeux en quelque miroir. Au milieu, un point noir : la fenêtre de ton âme. Quelle noirceur elle a, cette âme, monseigneur ! Mais je m’aperçois dans cette glace ! Je sais bien, l’image s’effacera dès que je l’aurai quittée.

Il protestait en riant.

— Vilain, reprenait-elle. Je le sais, moi. Tais-toi ; et laisse immobile cette chère tête, que je voie encore tes yeux. La prunelle s’arrondit et se polit. Elle est humide et brillante, des filets marrons y palpitent comme des algues dans la mer. Quand tu me regardes ainsi, tes yeux s’illuminent, les algues deviennent des rayons.

Il riait encore. « Dis tout de suite, répondait-il, que mes yeux sont ton soleil ».

— Pourquoi pas ? Quand j’étais petite je fixais le soleil, par jeu. Mais sa lumière me possédait. Sa chaleur me pénétrait. Il entrait tout entier, son flux divin, par mes yeux, (des yeux si candides, tu sais) jusque dans l’âme. Il me semble que je suis encore petite fille…

Comme ils étaient heureux et las tous les deux ! De frais rameaux, près des volets, s’abandonnaient au vent léger. Du bout de sa branche une grappe humide et lourde leur jetait sa rosée.