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LE FINANCIER RABEVEL

matins le soleil. La rivière baisait les pieds de la colline et des murailles, délivrée dès l’aurore des brumes qui sous leurs yeux semblaient s’évaporer à regret. « Crois-tu, disait Angèle, que nous puissions retrouver ailleurs cet accord si parfait ? » Elle voulait parler de l’accord de leurs sens et de leurs cœurs.

Bernard hochait la tête. Jamais il n’avait senti à ce point ce mélange de douceur et de violence qui fait le pathétique. Sous ces murailles gallo-romaines grises et couvertes de toits rouges, l’harmonie se créait toute seule entre les tons du monde physique ; elle se révélait à lui. L’âme passionnée de sa compagne l’émouvait davantage et il ne savait plus ce qu’il était, ni ce qu’il voulait. Il savait seulement qu’il désirait, qu’il désirait encore, qu’il désirait infiniment. Au pied du rocher où se fondait leur maison il entendait une source toute sanglotante dans le lierre pâle.

— Comme la nuit nous fut douce ! dit-il en se tournant vers elle.

— Ferme les yeux, mon amour, répondit-elle, ferme les yeux, ton regard se rappelle trop. » Même clos, il lui semblait que ces yeux l’observaient, l’attiraient et l’assaillaient. Leur flamme obscure traversait sa chair. « Ah ! puisqu’ils me tourmentent, disait-elle, ouvre-les encore et que je me penche sur eux ».

Elle s’inclinait, elle avait un air enfantin parmi ses boucles, elle disait :

— Je t’approche trop, j’aperçois à peine tes lèvres et