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LE FINANCIER RABEVEL

univers et celui de sa maîtresse ; il commençait à sentir la beauté, la fraîcheur des choses qui n’avaient jusque là conquis que son intelligence. L’inavoué peu à peu se fit jour. Une foison de mots et de petits faits auparavant inoffensifs, pénétrèrent dans un cœur patiemment assiégé, tout geste d’elles créait un champ d’aimantation où son âme s’émouvait encore, libre en apparence, en réalité orientée, mais avec une aisance miraculeuse, ravie de nager dans cette divine substance où ne la contraignaient ni pesanteur ni climat. Elle devenait un tel objet d’admiration et d’amour que, parfois, sous le regard de Bernard, les paroles affluant à ses lèvres s’arrêtaient sur une intonation un peu plus rauque ; et ce suspens les ravissait tous deux au plus pur d’eux-mêmes.

Ils vivaient davantage, jouissaient mieux de la nature et d’eux-mêmes, saisissaient et éprouvaient toutes les délices qui leur échappaient auparavant dans le cours des minutes infiniment ralenties par leur désir de les savourer comme, au cinéma, la grâce et la beauté des choses sont rendues plus sensibles quand on les a infiniment ralenties.

Ils s’étaient installés en plein Quercy dans une petite maison perchée sur la colline qui fait face à Cahors. Là peu à peu ils s’abandonnaient au démon qui leur était familier à tous deux, le démon de l’exaltation.

Toute la liberté et la joie de l’univers étaient en eux et le désir d’en user entièrement, corps et âme. L’ivresse d’une extension extrême de l’être, les habitait. Que les