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LE FINANCIER RABEVEL

Et il se disposa à rentrer à l’hôtel. Mais la petite femme le tira par la manche : « Eh bien quoi, dit-elle, vous ne venez pas avec moi ? » Il avait repris le cours de ses pensées et l’avait totalement oubliée. « Non, dit-il, voilà un louis, vous n’aurez pas perdu votre temps ; je m’en vais ». Elle mit l’argent dans son sac, et d’un petit ton boudeur : « Merci pour le louis, c’est toujours utile. Mais ni Alyssia ni moi nous ne couchons pour de l’argent, on est entretenues par des gros marchands de vin de Paludate. C’est-il que je vous dégoûte ? Non ? Eh ! bien, toi, tu me plais, sale gosse, viens donc, va, on va s’aimer ». Il eût la vision d’Angèle, recula ; elle songeait peut-être à lui, désolée dans son lit ; une étrange saveur lui vint avec un flot de salive, il reconnut une émotion âcre déjà ressentie, quelque chose qui annonçait le sadisme et l’anormal ; il se rappela les petits chats martyrisés, le chien du chapelier, le scorpion, l’homme roué de coups à l’étage des domestiques ; il désira, la durée d’un éclair, qu’Angèle l’aperçut dans le lit de cette garce. Et il la suivit.

Il était minuit quand il s’endormit ; il chavira dans le songe comme une brute et tout aussitôt les navires, les livres comptables, les liasses d’actions dansèrent devant ses yeux ; puis, peu à peu, la fantasmagorie se dissipa, les images disparurent, le problème informulé qui le préoccupait depuis la veille s’énonça lentement en phrases musicales comme sur la corde haute du violon : « Il y a quelque chose à faire dans la maison Bordes pour moi. Quoi et