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LE MAL DES ARDENTS

comprendre qu’il ne pouvait pour le moment abandonner l’œuvre de réorganisation à laquelle il s’était attelé. Il y dépensait des trésors de patience, d’ingéniosité et d’intelligence, et une somme extraordinaire de travail. Il avait liquidé la Cie Vénézuelienne ; Sernola, mouche bourdonnante, nanti de quelques actions, recevait, pour ne rien faire qu’amuser son maître, des subsides qu’il dépensait dans les bars et les petits théâtres. Les voiliers dont l’ordre secret était de s’embosser à Lisbonne étaient revenus sur un télégramme de Bernard ; le personnel dirigeant avait été à peu près entièrement renouvelé ; des agents actifs, surveillés, traités avec largesse et sévérité réussissaient à ramener la clientèle à la vieille maison qui prenait figure nouvelle ; après bien des méditations, Bernard avait fini par donner à la société la forme de la commandite ; elle s’appelait maintenant Rabevel et Cie ; les pavillons rouges portaient brodé en bleu, le nom de Bernard. Le trafic croissait sans cesse ; ce créateur d’affaires se montrait, chose bien rare, bon administrateur.

Cette vie le ravissait. Il était arrivé peu à peu à enlever les meilleurs agents du monde entier aux compagnies rivales ; il les payait ce qu’il fallait sans lésiner ; il les intéressait au trafic, aux bénéfices, ce qui ne s’était jamais fait à cette époque. Il put bientôt dire que les affaires qu’il ne faisait pas, c’est qu’il les avait refusées ; et, en effet, toutes lui étaient proposées avant de l’être à aucun autre armateur. Cela avait paru étonnant d’abord. Cela ne l’était pas. Cela