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LE MAL DES ARDENTS

— Je commence à comprendre l’idée du Père Régard, répondit-il.

— Tu n’as pas fini de comprendre, mon pauvre Bernard ! Ils ne dirent plus rien jusqu’au moment où ils virent à l’horizon les murailles de la Commanderie surgir des solitudes. Elles dressaient sur un plateau balayé des vents leurs tours carrées d’architecture militaire. La neige et le soleil, toutes les ardeurs torrides ou glacées des cieux rouergats avaient mordu les charpentes, tourmenté les capuchons d’ardoise. Disloqués et dans une posture gémissante, ils semblaient vouloir tourner, accompagner le soleil dans sa course.

— Qu’est-ce que c’est donc ? demanda Bernard.

— C’est la cité des Templiers », répondit Angèle. Elle lui expliqua. Des moines impérieux étaient venus là, dont l’ambition était de durer et qui avaient ouvert rudement le flanc des collines pour ériger ces bastions. Leur masse taciturne dominait l’horizon pour la durée des siècles, de toute la hauteur de ce dessein qui les hante et qui ne sera jamais réalisé.

En approchant du plateau, posé sur le désert comme un dolmen, ils distinguèrent, tout accroupie et comme apeurée, l’église transie qui abrite dans ces pays les rêves du paysan. Elle était aussi bâtie des lourdes pierres de la montagne, petite et sans doute sombre, avec l’air d’une crypte. Bernard comprenait vaguement que cette crypte était un refuge et que peut-être les espoirs de tant de