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LE MAL DES ARDENTS

que lui avait dévolu Bernard. C’est lui qui, au bout de quelques jours, assumait la rubrique de l’Œil avec une prudence que le jeune homme approuvait et dont il craignait lui-même, tant son âme était bouillonnante de haine, de se montrer incapable. Après la réussite des premiers numéros, Fougnasse avait pu, d’autre part, conclure quelques contrats de publicité qui assuraient la vie du journal. Désormais l’entreprise ne coûtait rien à Bernard et peut-être deviendrait-elle un jour rémunératrice. En tous cas, de quel prix était cet instrument pour son avenir financier !

Tous ses soins avaient été consacrés à conserver le plus stricte secret sur ses accointances avec le Conseiller. Fougnasse était devenu Jean Lefranc ; il ne recevait pas les rédacteurs, tout se faisant par correspondance ; il établissait la légende qu’il ne voulait pas être influencé et la maison n’en prenait que meilleure réputation ; les comptes en banque du Conseiller étaient parfaitement isolés de l’extérieur ; ils ne recevaient ni chèques, ni virements, mais seulement les versements qu’y faisait Monsieur Lefranc lui-même ; la comptabilité d’ailleurs facile du journal était tenue par Bernard ; il ne voyait Mr. Lefranc qu’à des endroits et à des heures bien choisis. Cette vie extraordinaire le comblait d’aise ; il agissait de même avec Ramon et Bartuel qu’il contrôlait d’ailleurs l’un par l’autre et qui, prenant pour argent comptant ses mensonges longuement élaborés, ne savaient rien de ses intentions ni