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LE MAL DES ARDENTS

tions ! Le mépris de son ami, le dégoût qu’il avait lui-même de sa conduite lui faisaient venir des gouttes froides à la racine du poil ; il prévoyait qu’Abraham n’avait pas fini d’être sa victime, que la veuve Boynet n’avait pas commencé et qu’Angèle était son hostie. Il prévoyait qu’il allait connaître les sentiers étroits et dangereux, les jours difficiles, les pièges, les lames à deux tranchants, il sentait passer le vent de la défaite possible, il entendait le pas des huissiers, des juges ; il réalisait avec intensité tous les risques qu’il allait courir. Tout cela, il le devait à Mulot et Blinkine ; ah ! les cochons ! Il déglutit péniblement sa salive ; qu’il les haïssait ! mais il ne songeait pas à se soumettre, à s’accorder, à se restreindre, à ne pas courir tous les dangers, à être heureux ! l’humiliation ? la médiocrité ? ah ! non ! mais se venger ! Et de nouveau lui vint l’idée qui avait fait cristalliser soudain tous ses sentiments et ces images, l’idée de voir la Farnésina, de la séduire, de l’envelopper et quelque beau jour, de tenir enfin l’occasion, la belle occasion… Un rêve sanglant le happait ; il se souvenait du galant de Flavie roulant dans l’escalier de pierre. Ah ! bon dieu ! crever Mulot comme ça, par accident ! il défit son col, il étranglait de bonheur à cette idée. « Allons, répéta-t-il, il y a de beaux jours à vivre. Filons ! »

La soirée était belle ; ils allèrent à pied jusqu’aux Variétés. L’éclat des lumières, le bruit, le mouvement joyeux de la foule s’accordaient à la frénésie heureuse de Bernard ; toutes ses tendances secrètes arrivaient à leur épanouisse-