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LA FIN DE RABEVEL

un chemin vers elle. Ce doux être le magnétisait comme par une onde de délice obéissante au rythme de son sein. Elle était nue, ouverte à son caprice sans nul rempart opposé au désir. Et cependant il avait beau s’apparaître à lui-même, véhément, embrasé d’amour, éperonné de mille flèches, nimbé de cette imminence mystérieuse qui ne laisse à l’âme antagoniste que l’alternative de l’égarement ou du repli ; il avait beau éprouver à l’extrême de l’évidence que sans elle la vie ne pouvait plus être autre chose qu’un gouffre vertical vertigineusement fuyard sous son pied déjà posé… toutes ces velléités de piège ou d’audace se serraient dans une embâcle inattendue. Sa joie de retrouver au bout de douze ans, seule et parfaite, la créature de son sang, s’exaltait et s’exténuait des ivresses de sa famine ; un vagabondage de souvenirs, une contamination foissonnante de mirages le poussaient au délire. Il écarta les rideaux de son placard, sortit à pas de loup, étouffant de chaleur, de fatigue et d’une fièvre subite, tituba, se retint aux couvertures du lit proche et s’abattit enfin sourdement contre la table de nuit.

Éveillée en sursaut, mais muette, et l’œil aigu, Angèle scrutait l’ombre. La respiration de Rabevel toute proche la rejeta en arrière. Elle n’osait crier craignant le scandale si vraiment c’était lui qui approchait. Elle souffla à voix basse : « Qui êtes-vous ». Point de réponse. Alors, courageusement, elle frotta une allumette et aperçut le corps de Bernard sur la descente de lit. Elle alluma la bougie,