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LE MAL DES ARDENTS

entre ses lèvres fondue, la masse brûlante et lourde dans ses paumes. Enfin, la jeune femme allongea sur le lit ses hautes cuisses de chasseresse et s’étendit tournée vers lui : son corps ne fut plus qu’une immobile statue d’ivoire dorée de lueurs pâles, d’ombres plus chaudes que ces lueurs, et, dans ces ombres transparentes, fleuri d’autres ombres opaques, comme le mystère qu’elles célaient. Rabevel la contemplait avec l’attendrissement respectueux que l’amour ajoute au désir en lui ôtant son caractère animal. Le même refrain lui revenait toujours où il qualifiait à la fois l’être bien aimé tout entier : « Qu’elle est belle ! » cri de reconnaissance, cri de l’admiration vouée par lui au cœur, à l’esprit et au corps de cette créature passionnée. Une heure sonna ; la jeune femme se dressa, parut hésitante, alla jusqu’à la perte, écouta ; on eût dit qu’elle attendait. Le silence régnait. Elle réprima un sanglot que Bernard perçut à peine, et, tout doucement, fit tourner la clef dans la serrure, ouvrit, écouta un instant, le cou tendu, puis repoussa la porte sans bruit. De nouveau, elle sembla hésiter, la main sur la serrure ; mais elle se décida, ne tourna pas la clef et, après avoir soufflé la bougie, se mit au lit. Dans l’obscurité, elle se laissa enfin aller et pleura longuement. Les sanglots s’entrecoupaient de paroles indistinctes où Bernard crut reconnaître son nom. Puis les pleurs cessèrent peu à peu et il perçut enfin le souffle régulier de sa maîtresse endormie.

Nul raisonnement, nulle volonté qui lui frayât pourtant