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LE MAL DES ARDENTS

— Sept parts. Et vous, Caraman ?…

Quand il eut fini le recensement, le total arrivait à cent vingt-huit parts. Il fallut procéder à une répartition que l’orgueil et l’émulation rendirent assez laborieuse mais à laquelle on arriva enfin. Un beau contrat sous seing privé fut établi alors par Bernard pour servir de base aux actes notariés. Une clause innocente y prévoyait, pour la fourniture de l’eau d’irrigation, des conditions extrêmement rémunératrices. Les convives très gais, très bruyants et comptant l’un sur l’autre, signèrent successivement sans se faire prier après avoir fait mine de lire mais chacun d’eux n’ayant jeté les yeux que sur le chiffre qui le concernait personnellement. Quand le dernier des convives fut sorti, Bernard, accablé de fatigue mais rayonnant de joie et de vanité, put dire à Mauléon : « Voilà une journée bien remplie ! nos créanciers sont devenus nos débiteurs. Sur ce, mon bon ami, constatons qu’il va être minuit et permettez-moi d’aller me coucher. Je tombe de fatigue. » Il alla souhaiter le bonsoir à Angèle et à Tante Rose qui s’affairaient dans la cuisine avec les domestiques pour remettre tout en ordre et il monta dans sa chambre. La fenêtre était restée entrebâillée ; quelques bouffées de brise entraient par instants. La nuit était noire, orageuse, ouverte parfois dans le lointain en lueurs subites de cratère par des éclairs de chaleur. Il distinguait à ses pieds une confuse masse de feuillage inerte au fond de l’abîme. Plus encore que l’ombre, le Viaur serpentait, à peine miroitant