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LA FIN DE RABEVEL

lui-même et il l’entraînait à mettre fin d’un geste ou d’un mot à cet intolérable suspens ; il la jugeait d’après soi, la connaissant bien, sachant que ces situations irrésolues l’agaçaient à l’extrême et qu’elle en souffrait dans sa fierté d’autant plus qu’elle avait cru en arrivant avoir à se défendre contre des entreprises forcenées ; elle se trouvait sans s’en rendre compte dans une situation analogue à la situation de celui qui, montant un escalier obscur et se croyant à la dernière marche alors qu’il est déjà au palier, se jette de tout son poids dans un vide insoupçonné ; le sol résistant qui doit subir sa réaction lui est retiré, c’est son seul jarret qui plie et s’effondre en absorbant la force vive destinée à maintenir, sur la marche inexistante et dont il croit qu’elle s’est dérobée, le mouvement de sa masse…

Mais Bernard ne se contentait pas de la soumettre à ces excitations décevantes. Avec une finesse attentive qui éludait le soupçon de la plus légère affectation, il s’appliqua à faire à sa femme une cour discrète qu’Angèle crut surprendre et qui l’exaspérait : « Je ne sais pas ce que j’ai, se disait-elle le soir en sanglotant dans son lit, un mouchoir entre les dents pour étouffer les gémissements, je ne sais pas ce que j’ai. Qu’il m’horripile, mon Dieu, ce sale Bernard ! » Mais elle n’avait point de cesse que sa torture ne recommençât. Et elle se fit répéter avec des détails, à plusieurs reprises, les confidences que Bernard avait faites à Mauléon un soir que celui-ci était arrivé au salon juste à point pour surprendre, embrassant sa femme, Rabevel