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LA FIN DE RABEVEL

qui fait durer le voyage ? Sommes-nous des exilés oui ou non ? N’avons-nous pas des aspirations qui dépassent le champ de nos expériences terrestres ? Aspirations, remarque-le, qui se précisent dans les grandes crises émotionnelles condamnées par l’instinct de conservation. Or celui-ci nous contraint, par la peur de détraquer un misérable amas de viande et d’os, à renoncer à tout ce que nous rêvons de réalisable et de beau. Remarque-le encore, les joies les plus grandes sont réservées aux jouisseurs et aux ascètes. C’est par là que se rejoignent ces grands courageux : par la mise au rancart de ce bas instinct de conservation ! »

— Ah ! Ah ! s’écria Marc qui était entré pendant la fin de cet entretien. Voilà bien la clef de l’énigme que je recherchais depuis si longtemps. Voilà qui explique la rapidité de la conversion de certains grands pécheurs : c’est que leur fond ne change pas. Le seul sentiment qui compte en eux est en somme la soif de se dépasser, d’épuiser ses possibilités et cela sur un inébranlable courage qui les rend sourds aux appels de leur instinct de conservation.

— C’est cela même, dit Rabevel. Et ainsi en vivant peut-être moins de temps (et cela n’est pas démontré car le fameux instinct est faillible. Tel capitaine au long cours évitera les naufrages dans une exploration hasardeuse, qui eût décédé de la grippe à Tonnerre) en vivant, dis-je, moins de temps, on vit néanmoins davantage. La valeur de la vie est un produit. Ce n’est pas simplement une quantité : la qualité y intervient. Dix années de la vie de