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LE MAL DES ARDENTS

salles et dans les évocations qu’elles m’imposaient. Des yeux partout postés, des pistolets braqués, des dagues nues derrière les tentures, quelle fureur de crime ! Mais quand la mort compte si peu, c’est donc que nos sentiments sont plus forts qu’elle ! L’ampleur de cette fugue me dépasse ; je la jalouse ; elle est sensible à ma jalousie et elle m’enlève et m’anime : Comprenez-vous que j’aie peur ?

Nul ne répondit.

Marc, immobile, offrait à la flamme du foyer la sérénité de son beau visage. Madame de Villarais et Eugénie s’absorbaient dans un menu travail de crochet. Noë dissimulait avec peine son mécontentement, tandis que Balbine jouissait en silence de cette gêne unanime.

Il semblait à Olivier que Rabevel eût créé une œuvre demeurée parmi eux et qui cherchait insidieusement leur âme. Quel cœur ne battait pas dans ce recueillement ! La société policée, pensait Olivier, est ennemie des effusions. Le silence pèse sur elle et les minutes vivantes en sont mortellement blessées. Le fantôme pourtant s’insinuait en vapeur subtile : le vampire des anciens n’est-il pas un symbole troublant ? La parole ou le songe donne aux mythes une existence éphémère. Ces mythes, impalpables, ne cherchent-ils pas, dans notre sang, une vie réelle qui leur permette encore les affres ?

Tragédie, dans ce salon muet. Noë s’agita, puis courut à la fenêtre : « On étouffe, ici », dit-il. Il scrutait le parc.

— Voulez-vous sortir avec moi, Olivier ?