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LE MAL DES ARDENTS

jours troubles, lui étaient revenus les souvenirs des attraits empoisonnés de Balbine. Il n’y songeait pas sans terreur. Ce sang bouillant qui bleuissait sous la peau, à quelles extrémités l’eût-il entraîné s’il était demeuré en France ? Il savait la jalousie de Rabevel ; il connaissait sa propre violence.

— Ah ! non, conclut-il en terminant sa pensée à voix haute, on ne m’y reverra pas de sitôt en France !

— Je comprends ça, dit Rabevel, très excité et qui se fût souhaité les mêmes libertés…

On se levait de table.

— Voyez-vous, poursuivait Bernard, moi, j’en suis venu à une véritable métaphysique du plaisir, de tous les plaisirs…

— Même ceux de la table ? demanda Eugénie.

— Même ceux-là. Tenez, ce dîner approchait de la perfection : rien n’est comparable à la vieille cuisine de nos provinces lorsque la tradition en est conservée, n’est-ce pas ? Eh bien ! est-ce inutile ? Non, car la nourriture fait l’homme : nos savants chargés d’hypothèses nous diront que les qualités de la race dépendent de ce qu’elle absorbe. Ne contredisons pas ces braves gens qui sont par ailleurs, à mon sentiment, des ânes rouges. Mais constatons que des repas comme celui que nous venons de faire, en excitant l’imagination, rendent les souvenirs plus vivants et par là resserrent les liens qui unissent les vieux amis que nous sommes, toi, Olivier, toi, Marc, toi, mon oncle Noë, moi.