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LA FIN DE RABEVEL

malin. Elle se représenta la brebis livrée au loup, la biche aux abois ; on l’aurait la petite salope ! « Tu ne trouves donc pas de truc, Bernard ? Il y en a pourtant un bien simple il me semble… » Elle lui exposa son dessein. N’existait-il donc pas au fond du Pacifique quelque île abandonnée, à l’écart de tout, quelque rocher perdu comme Clipperton parmi les cannibales et les fièvres où il pouvait fonder un comptoir et laisser ce brave François ? N’existait-il pas le moyen de combiner un bon petit itinéraire qui ferait toucher le bateau d’Olivier à de tels patelins et à de telles dates que la belle Madame Angèle n’en pût avoir de nouvelles avant un an ? Rabevel s’enthousiasma, si parfaitement oblitéré il se trouvait à ce moment, de l’astuce de Balbine. Il eut chez lui, six mois après, une Angèle tremblante, suppliante et désespérée, mais une Angèle obstinée qui ne lui céda point et rentra à la Commanderie malade d’exaspération contenue. Il l’attendit. Il savait qu’elle reviendrait.

Elle ne revint pas tout de suite. Elle alla voir Blinkine, lui demanda conseil et trouva à sa surprise terrifiée, un homme hésitant, suant de trouble. « Quoi, disait-il, encore ! Le démon aurait donc le dessus ! » Il finit par lâcher sa pensée, reparut sous son jour orgueilleux et discuteur de manichéen. Il y avait deux principes, celui du bien, celui du mal. Il semblait bien que la puissance souveraine ne fut pas dévolue à l’un ou à l’autre, témoin cette incertitude balançante qui leur donnait alternativement la victoire dans la destinée d’Angèle… Il parla longuement, hésitant tout haut devant elle, n’aperçut que trop tard le regard éperdu