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LA FIN DE RABEVEL

fermé. Son orgueil l’étouffait, il faisait à certains moments figure de parvenu. Il en arrivait à vivre dans une espèce de rêve où ne subsistaient que le goût de ses passions et le sens de ses intérêts. Les hommes étaient des adversaires et il ne les jugeait plus que comme tels. Leur culture, leurs idées dont autrefois il se fût préoccupé ne l’intéressaient pas. Il se trouva en présence d’un homme comme Lacaze, le grand financier italien, administrateur de premier ordre, philosophe et économiste d’une grande allure qui savait tout traiter à un point de vue général et émettait parfois dans les conseils des aphorismes d’apparence paradoxale. On se récriait : « Jugeons l’arbre aux fruits », répondait-il. En un style elliptique et précis, sans une phrase inachevée, il déduisait de sa proposition des conséquences pratiques dont la fertilité émerveillait ses auditeurs. Comme on le félicitait, il répondait doucement : « La proposition est dans Saint Thomas… » Ce fut le seul homme dont la fréquentation parvint à éveiller en lui des regrets. Ni Abirounère, brouillon, passionné et chançard qui commandait pour trois millions de marchandises sans signer un papier ni une spécification, flanquait ses employés à la porte quand la marchandise ne lui plaisait pas, avait une comptabilité renouvelée des images d’Épinal et savait tirer des grandes Administrations des subventions qui étourdissaient les concurrents ; ni Pascalon qui, grisé par la fortune, exploitait des mines, des chutes d’eau, des casinos, des fabriques de nouilles, perdait partout de l’argent et, à chaque perte, se