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LE MAL DES ARDENTS

tricité allait à peu près, cahin-caha, grévée d’ailleurs de toutes sortes de frais ; les terrains irrigués ne se vendaient pas. Les Caussenards, malins, ne se pressaient pas ; on se disait à l’oreille que le père Mauléon tirait le diable par la queue et devrait lâcher bientôt tout ce qu’il tenait, pour un morceau de pain. Le pauvre homme faisait à Bernard le signe de détresse, le supliant de venir sur place ; et même il s’était rendu à Paris pour le voir. Mais Rabevel avait toujours prétexté le souci de ses affaires qu’il ne pouvait abandonner d’un pas, pour ne pas se rendre à la Commanderie ; il avait prodigué les bons conseils, suggéré des solutions qui eussent été fort bonnes appliquées par lui, mais que Mauléon n’avait pas les qualités nécessaires pour mener à un heureux terme. Le brave homme finit par croire que Bernard ne voulait pas venir et avait décidé de l’abandonner à son malheureux sort. « Qu’en penses-tu, Angèle, toi qui le connais ? » La jeune femme ne savait quoi répondre. Elle avait eu d’abord une vie d’hallucinée. Il fallait taire à François, lorsqu’il revenait tous les deux ans, les ennuis de son beau-père, il fallait taire les manœuvres bizarres de ce Bernard dont le silence lui paraissait une menace plus effrayante que les cris, il fallait taire surtout l’horrible secret qui tourmentait sa tempe, ses lèvres, son cœur, et même toute sa chair ; laisser son mari embrasser ce bel Olivier déjà ardent comme son père, lui laisser croire qu’il serrait entre ses bras orgueilleux le fruit du plus pur de son sang.