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LE MAL DES ARDENTS

spirituelle qu’elle aurait pu lui donner, il se sentait, le soir venu, trop fatigué, le cerveau encore trop plein de chiffres, pour la suivre dans ses récréations d’artiste. Le malaise l’envahit donc très vite auprès de cette femme délicieuse qui n’avait d’autre défaut que d’être sage. Mais cette sagesse, cette simplicité ne faisaient que l’agacer quoi qu’il en eût et bien qu’il s’en gourmandât. Il n’était pas encore perverti pourtant ; et même il résistait aux rafales de sauvagerie qui, certains jours, remontaient en tempête des horizons de son enfance. Mais parfois il l’eût voulu mordre, pincer, quereller bassement au risque de recevoir la leste et violente gifle qu’Angèle ne lui eût pas marchandée en de telles occasions. Mais il n’osait la disputer ; dès qu’il prenait un ton plus élevé, elle s’alarmait, ses yeux se mouillaient. Il en était venu à la traiter comme une enfant ; là était le climat de cette jeune femme rêveuse et tendre qui devait rester toute sa vie au stade de l’adolescence. Il crut une fois avoir trouvé un prétexte qu’il s’empressa d’exploiter avec une rare perfidie : ce fut l’assiduité de Louis Gontil. Le poète continuait à faire une cour simple, tranquille, sans ambition et sans espoir, à la jeune femme. Il semblait ignorer le mari ce qui ne laissait pas de vexer Bernard. Il composait, suivant les fantaisies de son inspiration, des poèmes exquis et des impromptus badins et il tenait davantage à ceux-ci qu’à ceux-là ; plein de talent, l’orgueil d’un gamin lui tenait lieu de génie. Au demeurant, il était pour Reine la compagnie la plus