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LE MAL DES ARDENTS

formaient ainsi une prison perpétuelle dont la voûte éteignait les échos et bornait l’horizon. Tout ce qui n’avait pas rapport avec elles, tout ce qui ne lui proposait pas une ressource immédiatement assimilable se heurtait à sa distraction totale. L’unique direction de cet esprit en travail était celle de sa réussite ; sa contention appliquée à ce grand dessein opposait à tout le reste une indigence sans appel ; la seule passion qui demeurât chez lui rendant son travail était celle de l’ordre ; celle-là ne pouvait en aucun cas être submergée. Bernard ouvrait lui-même son courrier, répondait à toutes les lettres importantes, notait sur les autres le sens de la réponse à faire, indiquait sur toutes le titre du dossier où elles devaient être classées. Ce goût de l’ordre n’était qu’une forme de son tempérament ; il annonçait la coutume de prévoir l’avalanche ou la crue, d’y pourvoir, de lui ménager ses canaux, de n’en être jamais recouvert ni même surpris ; mieux encore, d’y savoir retourner, pour reprendre aux bassins où s’en décantaient les laisses ce qu’on en pouvait utiliser. Cette clairvoyance, cette instante vigilance, cette tenue parfaite de soi, éliminaient l’épuisement des contractions réticentes, combinaient les facilités d’une pensée qui pouvait librement disposer d’elle-même. Bernard, s’étant défini les valeurs qu’il poursuivait, allait à son but avec imperturbabilité, avec cette sorte de sécurité que donnent à une troupe en marche le bon gouvernement de ses unités, la certitude tactique de ses cheminements, les mesures qui la couvrent de gardes en avant, en arrière,