perçait. Déjà il y avait un trou assez large pour un homme : un homme y passe, puis un autre, et plusieurs enfin, tous armés d’une épée. Ils pénètrent dans les chambres, mettent aux fers Hipparque, Palestra et mon valet, vident à leur aise toute la maison, emportant argent, hardes, vaisselle ; puis, quand il ne reste plus rien, ils me prennent moi, l’autre âne et le cheval, nous mettent une bâtière, y chargent tout leur butin, et nous le sanglent sur le dos. Quand nous ployons sous le faix, ils nous chassent devant eux à coups de bâton vers la montagne, et s’échappent par des chemins impraticables. Je ne saurais dire ce que souffrirent les autres bêtes de somme ; mais moi, qui n’avais pas l’habitude d’aller ainsi pieds nus, de marcher sur ces pierres pointues et de porter un si lourd bagage, je me mourais : je bronchais à chaque pas, et je n’avais pas la liberté de tomber, car sur-le-champ un des voleurs me frappait de son bâton la croupe et les cuisses. Souvent je voulus m’écrier : « Ô César ! » mais je ne faisais que braire ; il sortait bien de ma bouche un « Ô » grand et sonore, mais « César » ne suivait pas ; ce qui m’attirait chaque fois de nouveau coups, parce que mon braire les trahissait. Comprenant enfin que mes cris étaient inutiles, je me mets à marcher en silence et je gagne au moins de n’être pas battu.
17. Déjà le jour commençait à poindre ; nous avions franchi plusieurs montagnes, et, comme on avait eu soin de nous lier la bouche, pour nous garder de perdre du temps en broutant par la route, je continuai de rester âne ce jour-là. Vers midi, nous faisons halte à une petite métairie habitée par un ami des voleurs, comme il parut à leur rencontre : on s’embrassa de part et d’autre ; les maîtres de la maison prièrent nos gens de se reposer et de dîner, et l’on nous donna de l’orge à nous autres bêtes. Mes deux compagnons se mettent à manger, et moi je jeûne piteusement : je n’avais jamais fait un repas d’orge crue. Aussi je cherchais partout de quoi apaiser ma faim, lorsque j’avise derrière la cour un jardin plein de beaux et bons légumes, et plus loin, je découvre des roses. Alors sans être vu de personne du dedans, tous étant occupés à dîner, je me dirige du côté du jardin, pour me remplir de légumes crus et pour manger des roses. J’espérais bien, ces fleurs mangées, redevenir Lucius. Me voilà donc dans le jardin, me remplissant de laitues, de raves, de persils, tous légumes que les hommes mangent sans les faire cuire ; mais, pour les roses, ce n’en étaient point de véritables : elles étaient produites par un laurier sauvage qu’on appelle laurier-rose, mauvaise pâture pour les ânes